J’ai publié initialement cet article en anglais sur LinkedIn. En ce début d’année 2017, je crois que le propos est toujours d’actualité, à savoir qu’un des défis contemporains est d’offrir un service de haute qualité de façon durable et à faible coût. C’est un défi particulièrement difficile pour la fonction Formation & développement. Pensons simplement à tous les professionnels de la formation pour qui démontrer le retour sur investissement d’un projet de formation est difficile; élargissons maintenant la perspective en englobant les équipes de formation qui doivent démontrer la valeur que leur groupe apporte à leur organisation. Même si cet enjeu ne se limite pas à la fonction formation (pensons n’importe quelle fonction support, telles que les RH, les groupes d’amélioration continue…), on doit quand même réfléchir à des solutions.
Un enjeu d’abord culturel
La recherche démontre que cette problématique prend racine dans la culture organisationnelle. Le Boston Consulting Group a récemment mis en évidence pourquoi le contrôle des coûts des fonctions support est un exercice ardu:
Il est notoire que les inefficacités soient difficiles à mesurer; celles-ci reflètent souvent des habitudes de longue date, ancrées dans la culture d’une organisation.
De plus, les employés peuvent tirer des bénéfices de l’existence de ces inefficacités parce que celles-ci peuvent résulter dans l’augmentation de leurs responsabilités ou de leur pouvoir. Les explications du BCG mettent l’emphase sur l’agenda de l’employé: la «valeur ajoutée» va à l’égo de l’individu, et non à l’organisation. Ces comportements peuvent être observés partout dans l’organisation, sans égard à la position de l’employé dans la hiérarchie.
On peut aisément identifier, dans le balisage 2015 de Towards Maturity, certains symptômes relatifs à cet enjeu au sein de la fonction Formation & développement. Le rapport révèle que plusieurs équipes Formation souffrent toujours de processus byzantins, sont tenus à l’écart des processus de prise de décision, reçoivent peu ou pas de rétroaction et ne voient pas ni ne démontrent l’impact de leurs actions.
Considérant cela, je crois que nous devrions analyser l’enjeu de création de valeur et de réduction de coûts dans une perspective plus large que les seuls gaspillages dans les divers processus organisationnels: nous devons inclure les comportements des individus dans la problématique. Après tout, sans les individus qui les composent, les organisations ne sont que des coquilles vides!
Réduire les inefficacités: une question de psychologie sociale (entre autres!)
En psychologie, la psychologie sociale est l’étude scientifique de comment les pensées, les sentiments et les comportements des individus sont influencés par la présence actuelle, imaginée ou implicite des autres. Le modèle du déterminisme réciproque imaginé par Albert Bandura illustre que les comportements d’un individu influencent et sont influencés par des facteurs personnels et par l’environnement social. Cela signifie que les individus sont à la fois le moteur et le produit de la culture organisationnelle.
Cela signifie donc que l’implantation de changements dans les systèmes managériaux ne sera un succès que si les paradigmes des individus changent également. Plusieurs échecs d’implantation du lean l’ont démontré: ces projets ont échoué parce qu’ils focalisaient sur le jargon, l’élitisme et une perspective limitée aux outils plutôt que de mettre de l’avant la philosophie du lean, qui elle a démontré être un puissant levier de changement.
Chercher la cause profonde
Au-delà des découvertes que la psychologie sociale peut expliquer, Tollman et Morieux suggèrent que les équipes de management devraient focaliser leur attention sur comment ils ont répondu à l’augmentation de la complexité de leur environnement d’affaires. Selon eux, la mauvaise réponse à la complexité crée des complications(1).
Si la complexité est liée aux conditions extérieures et provient des changements dans l’environnement d’affaires, la «complication» est liée aux conséquences internes d’une complexité mal gérée.
On constate donc que la «complication» est la réponse humaine à la complexité, ce qui me ramène au modèle de Bandura que j’ai cité précédemment. Tollman et Morieux ont expliqué dans leur livre que leur approche Smart Simplicity repose sur l’idée que les changements dans le contexte organisationnel déterminent les objectifs, les ressources et les contraintes des employés et influencent ainsi leurs décisions et leurs comportements. Cela démontre que le management doit focaliser ses efforts d’amélioration sur la façon dont ils pourraient ajuster le contexte organisationnel afin d’orienter leurs employés vers une meilleure performance que de seulement focaliser sur l’amélioration des structures, de l’efficacité ou des coûts. On en revient encore au modèle de Bandura et à la psychologie sociale!
Rationaliser intelligemment la fonction Formation & développement
Maintenant que nous avons construit une perspective élargie, je crois que l’on peut revenir à la problématique de départ, soit comment apporter de la valeur avec une fonction Formation rationalisée. Outre une analyse sérieuse des redondances des processus de la fonction, des niveaux organisationnels inutiles ou des (trop nombreuses) étapes d’approbation (parmi d’autres questions structurelles), les dirigeants de la fonction Formation & développement doivent promouvoir une nouvelle vision des activités de base de leurs fonctions pour influencer les comportements des individus. Dave Buglass, Chef Capacité et Apprentissage chez Tesco l’a bien résumé dans son introduction au rapport de balisage 2015 de Towards Maturity:
La question […] n’est plus de savoir comment offrir une formation plus efficace à un public plus large, mais comment pouvons-nous, en tant qu’organisations, améliorer l’expérience de notre personnel? […] Les organisations les plus performantes […] sont occupées à traduire leur stratégie de ressources humaines en stratégie d’affaires et à utiliser les nouvelles opportunités pour transformer l’expérience d’apprentissage de ceux qui les entourent plutôt que de simplement l’automatiser.
Cela signifie que les chefs de fonction Formation & développement doivent se concentrer sur la manière dont ils peuvent habiliter leurs équipes à aller au-delà de «fournir une formation». Cela signifie que c’est beaucoup plus qu’une transformation structurelle : c’est un énorme changement de paradigme pour l’industrie de la formation. Cela signifie aller du point de vue des experts en apprentissage à une perspective de stratégie d’entreprise.
Alors, la dernière question est: pouvons-nous nous permettre de rater cette opportunité?
Crédit photo: http://www.landing-page-efficace.it/
The Handbook of Social Psychology McGraw Hillp.5
Morieux, Y., Tollman, P., Six Simple Rules: How to Manage Complexity without Getting Complicated, Harvard Business Review Press, 2014.
http://www.towardsmaturity.org : 2015 Industry Benchmark – Embracing Change Executive Summary
- Il est ardu de traduire adéquatement le terme complicatedness, notamment parce qu’en français on utilise parfois indifféremment les adjectifs compliqué et complexe pour désigner quelque chose de « difficile », ce qui est le sens commun unissant ces deux mots. Or, une chose compliquée, une complication, est embrouillée, difficile à faire ou à comprendre parce qu’on l’a conçue comme telle, alors qu’une chose complexe comporte en soi plusieurs éléments imbriqués, ce qui peut la rendre difficile à saisir. Source: Banque de dépannage linguistique.Source: Banque de dépannage linguistique.