La tâche intégratrice pour structurer l’apprentissage

Depuis une bonne vingtaine d’années on a vu apparaître dans le vocabulaire pédagogique le concept de tâche intégratrice. Partie intégrante d’une approche de formation par compétence, l’enseignement par la tâche fait ses premiers balbutiements en milieu scolaire depuis quelques années, mais le virage reste timide. En milieu de travail, la formation portant sur des compétences de niveau applicatif (opérationnel) bénéficie largement d’une approche pédagogique basée sur des tâches intégratrices. Mais une tâche intégratrice, c’est quoi?

Concepts: tâche, compétence et autres charabias

Difficile d’aller plus loin sans éclaircir d’abord ou, à tout le moins, s’entendre sur les concepts de base. Voici les définitions sur lesquelles je me base pour définir ces concepts:

Compétence

Bien que ce mot ne fasse pas encore l’objet d’une définition unanime, je vous propose d’utiliser celle-ci qui rassemble plusieurs éléments reconnus dans la littérature:

Une compétence est un savoir-agir complexe qui fait suite à l’intégration, à la mobilisation et à l’agencement d’un ensemble de capacités et d’habiletés (pouvant être d’ordre cognitif, affectif, psychomoteur ou social) et de connaissances (connaissances déclaratives) utilisées efficacement, dans des situations ayant un caractère commun. (Lasnier, F., 2001)

Capacité

Élément composant la compétence, je vous propose de définir ainsi la capacité:

Un savoir-faire moyennement complexe, intégrant des habiletés (cognitives, affectives, psycho-motrices et sociales) et des connaissances déclaratives (contenu disciplinaire). (Lasnier, F., 2001)

Habileté

Savoir-faire simple, intégrant des connaissances déclaratives. Les habiletés peuvent être d’ordre cognitif, affectif, social ou psychomoteur. (Lasnier, F., 2001)

Tâche intégratrice

La tâche intégratrice permet de mobiliser des compétences dans l’accomplissement d’une activité produisant un résultat: rapport, production, objet… en formation en milieu de travail, on peut l’illustrer par une séquence d’opérations (processus) qui permet de produire un extrant.

Par exemple, opérer une presse pour produire une bobine de cuivre dont la conductivité électrique est constante pourrait être une tâche intégratrice. Réaliser cette séquence d’opération requiert de mobiliser des compétences pour produire un extrant aux caractéristiques bien définies: la bobine et sa conductivité électrique constante.

Former sur des tâches et opérations

Il est donc aisé de voir pourquoi la formation à l’aide de tâches intégratrices est intéressante pour développer les compétences des gens en milieu de travail. L’idée nécessite de concevoir à rebours et ce, consciemment: on débutera par l’élaboration de l’évaluation pour ensuite planifier la conception et sélectionner les stratégies pédagogiques les plus pertinentes.

Aller-voir sur le terrain: essentiel

Pour y arriver, les rencontres et les observations des experts de ladite tâche sont essentiels. Qu’il s’agisse d’exécuter une séquence dans un logiciel pour produire un rapport ou d’assembler un composant sur une ligne de production, le rôle de l’expert pédagogique est de :

  1. capturer la séquence d’exécution des différentes étapes de la tâche;
  2. raffiner la description des étapes en sous-étapes (les opérations);
  3. identifier les requis en termes de qualité, d’extrants produits, de bonnes pratiques…

Impossible d’y arriver si on ne se rend pas sur le terrain. Personnellement, j’adore effectuer ce type d’analyse car on y capture en même temps une part du savoir de l’expert qui n’est pas toujours valorisé ou connu: c’est une occasion de trouver de petites mines d’or dans les organisations et de les faire connaître.

Le résultat de cette première analyse peut être assemblé au sein d’une matrice dite «tâches et opérations». On pourra par la suite mieux identifier les compétences ou formations préalables ou complémentaires à l’apprentissage de la tâche, ce qui permet par exemple de capturer et gérer plus efficacement le parcours d’apprentissage d’un employé dans le LMS de l’entreprise.

Le choix d’une stratégie pédagogique: voir la forêt pour choisir les bons arbres

L’option souvent choisie pour former un apprenant sur une tâche est l’accompagnement de type coaching à la tâche: on démontre, explique, fait réaliser, donne de la rétroaction et on reprend en boucle jusqu’à ce que l’apprenant et le coach jugent l’apprentissage complété et l’apprenant autonome. Cependant, bien que très efficace cette stratégie n’est pas toujours nécessairement celle à privilégier (et encore moins dans sa version moins structurée: la fameuse méthode «gabin, m’a te montrer…»).

À cette étape (parfois esquivée), l’expert pédagogique doit s’interroger sur le contexte de réalisation de la tâche:

  1. est-elle effectuée seule ou en équipe?
  2. requiert-elle de maîtriser certains concepts théoriques avant de passer à la pratique (histoire de comprendre ce que l’on applique?
  3. quelle est la marge d’erreur pour permettre à l’apprenant de s’exercer (apprendre sur une pièce finale destinée au client n’est pas toujours une bonne option…)?
  4. etc…

Un de mes livres préférés pour soutenir ma réflexion à cette étape est un recueil de 20 formules pédagogiques rédigé par Lavoie, Marquis et Chamberland (1995). Mon objectif est de prendre du recul par rapport à l’analyse que je viens de faire et qui m’a forcée à me plonger au cœur du contenu que m’a partagé l’expert. Il y a bien sûr d’autres façons de se repositionner à cette étape, celle que je vous expose est la mienne et n’engage que ma propre pratique 🙂 .

La tâche intégratrice: uniquement pour les opérateurs/contributeurs individuels?

Au fil de mon parcours, j’ai eu l’occasion de faire face à un préjugé quant à la formation basée sur une tâche intégratrice. Celle-ci est parfois reléguée comme utile uniquement aux contributeurs individuels, aux opérateurs et considérée moins pertinente pour ceux occupant des fonctions de gestion.

Pour ma part, mon expérience m’a confirmé à plusieurs reprises que même si le gestionnaire doit développer un ensemble de compétences «soft» afin de mener efficacement son équipe, il est quand même appelé à exécuter dans son quotidien certaines tâches qui peuvent exiger la maîtrise d’un logiciel par exemple. Ce gestionnaire, bien que formé et re-formé sur ses pratiques comme leader, sera inefficace si on ne se soucie pas de l’entraîner adéquatement par rapport aux tâches qu’il doit réaliser… non? Qu’en pensez-vous?

 

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