Après un échec, tout n’est pas fini. C’est un cycle qui commence en beauté.
– Charles Beaudelaire
L’échec en apprentissage au travail
Cela peut paraître spécial de débuter un blogue sur l’apprentissage par un article sur l’échec. Cependant, si ce thème est largement couvert dans le domaine scolaire, il ne l’est pas autant lorsqu’il est question d’apprentissage organisationnel. Certes, l’utilisation des échecs comme occasions d’apprentissage est commune dans certains types d’organisation du travail – je pense notamment à la gestion de projet et à ses «leçons apprises» que l’on capture en fin de projet.
En effet, en raison de leur nature particulière en tant que forme d’organisation du travail (temps et ressources limités, complexité, nouvelles équipes de travail), les projets sont particulièrement adaptés pour servir l’apprentissage. [1-3] Cependant, Eppler et Schindler (2003) ont démontré, dans une recherche qui a duré 3 ans, que les connaissances et expériences acquises dans les projets ne sont pas systématiquement intégrés à la base de connaissances de l’organisation. [4] On comprend donc qu’avec la fin du projet vient la fin de l’apprentissage qui a eu lieu au sein de l’équipe. Parmi les raisons de cette «amnésie post-projet» identifiées par Eppler et Schindler, celles qui figurent au 2e et au 3e rang ont attiré mon attention:
- Insufficient willingness for learning from mistakes of the persons involved.
- Missing communication of the experiences by the involved people due to ‘‘wrong modesty’’ (with positive experiences) or the fear of negative sanctions (in case of mistakes).
On mentionne donc le manque de volonté d’apprendre de ses erreurs et le manque de communication en raison d’une fausse modestie ou de peur des sanctions. La gestion de projet étant techniquement orientée vers la conservation et l’utilisation future des apprentissages réalisés au cours des projets, comment amener les gens à effectuer un debriefing efficace en fin de projet malgré les embûches soulevées par Eppler et Schindler?
Les embûches
L’embûche du manque de motivation à apprendre de ses erreurs me rappelle la théorie de Vroom [5] (bien lointaine dans mes souvenirs je l’admet!). C’est en quelque sorte la théorie du résultat espéré, et elle comporte 3 aspects. Formulés à la première personne, ils peuvent se résumer ainsi:
- Est-ce que ce que j’obtiens en échange de ma performance a de la valeur à mes yeux?
- Si je fais la tâche X, est-ce que j’obtiendrai le gain Y en retour?
- Si je fais ces efforts X, est-ce que j’arriverai à ce niveau de performance Y?
Bref, si on reprend l’exemple de l’apprentissage par la gestion de projet, peut-être devrions-nous changer de perspective lorsque l’on tente de mobiliser les troupes autour d’une rencontre d’apprentissage sur nos erreurs en :
- nous questionnant au préalable sur les raisons qui pourraient inciter les gens à y participer de leur propre chef, sans y être obligés (valeur intrinsèque ou extrinsèque);
- tentant d’établir de façon très réaliste ce qui pourrait changer dans l’organisation si l’équipe de projet partage ses apprentissages (que le gain soit tangible et donc que cela ne reste pas un voeu pieux);
- établissant un plan d’atelier qui permette d’obtenir des résultats tangibles (un livrable, tel les grandes lignes d’un rapport exécutif) avec un minimum de temps et d’efforts à y consacrer pour les participants.
L’embûche du manque de communication en raison de fausse modestie ou de peur des sanctions me fait quant à elle penser à un acronyme en anglais que je trouve vraiment chouette (malheureusement, je n’ai pas trouvé d’équivalent en français):
FAIL is:
- First
- Attempt
- In
- Learning
Je préfère prendre pour acquis que les gens sont bien intentionnés, autant lorsqu’ils accomplissent des tâches (et font des erreurs) que lorsqu’ils mènent une rencontre de capture de leçons apprises en fin de projet. 🙂
En conclusion…
Sans prétendre résoudre l’ensemble des manques de communication qui peuvent nuire à ces rencontres, il me semble que d’utiliser l’acronyme FAIL pourrait peut-être aider à déconstruire certaines craintes et rendre les captures de leçons apprises sur nos erreurs un peu plus riches à chaque fois…
Et vous, que pensez-vous des deux barrières soulevées par Eppler et Schindler? Avez-vous déjà eu à les gérer?
[1] Damm D, Schindler M. Security aspects of an enterprise knowledge medium for distributed project work. International Journal of Project Management 2002;20(1):37–47.
[4] Schindler, M., Eppler, M. J. Harvesting Project Knowledge: a review of project learning methods and success factors. International Journal of Project Management, 2003; 21: 219-228.
[5] Vroom, Work and motivation, New York: Wiley, 1964.